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La générosité est la vertu du don. Comparée à la justice (chapitre précédent du livre), qui comble des manques essentiels,  elle semble moins importante au premier abord, car il  est préférable « d’être juste avant d’être généreux »

La générosité pourrait apparaître comme un luxe, un supplément d’âme qui dépasse toute loi humaine. Elle est plus affective, plus spontanée, alors que la justice est plus objective, universelle, intellectuelle. Socialement la justice est plus nécessaire mais ne peut nous dispenser de la générosité, plus précieuse encore.

La solidarité, dans le même ordre d’idée,  est basée avant tout sur une communauté d’intérêts, un égoïsme bien compris, mais ne saurait être assimilée à une vertu, d’après A.CS.

Qu’est-ce qu’être généreux, et comment l’exprimons-nous ?

L’argent a le mérite d’être quantifiable, mais derrière toute  forme de générosité se profile l’intérêt que nous  avons à en faire preuve. La générosité authentique est très rare, l’égoïsme est toujours le plus fort.  On peut d’ailleurs être généreux sans amour, parce que la raison nous y invite. Par contre,  envers l’être aimé,  l’amour est automatiquement généreux dans le temps qu’il dure.

« On peut donner sans aimer, mais il est impossible d’aimer sans donner ».  Pourtant : est-ce générosité que de vouloir le bien de ses enfants ? Question absurde ! « Ce que je fais pour eux je le fais pour moi. Je m’aime à travers eux »

«Etre généreux, ce serait donc donner sans aimer ?  Oui, s’il est vrai que l’amour donne sans avoir besoin pour cela d’être généreux…..Donner quand on aime est à la portée de n’importe qui ».

On le voit, la générosité est une vertu  rare et pleine d’ambiguïté. Chez les Grecs et les Romains, d’ailleurs, le mot n’existait pour ainsi dire pas. Il était essentiellement question de « magnanimité ». La générosité serait à la croisée entre la magnanimité et la libéralité, mais cela n’a rien à voir avec l’amour.

La générosité vraie est une forme de liberté. C’est une volonté de bien user de ce qu’on possède, pour gagner une certaine estime de soi. Etre généreux, c’est se savoir libre de bien agir et de se vouloir comme tel. C’est :

  • ne pas être prisonnier de ses affects, ni de soi
  • être maître de ses passions, de ses désirs, de ses jalousies, etc.
  • être libéré de soi, de ses petites lâchetés, possessions, etc.

 

On aimerait préférer l’amour à la générosité, puisque l’amour vrai la remplacerait et même la supprimerait. Mais l’amour échappe à notre libre choix, il ne se commande pas. La générosité : oui. Il suffit de la vouloir. Elle n’est nécessaire et indispensable que par faute d’amour, à moins que nous soyons capable de l’amour évangélique qui commande d’aimer son prochain « comme soi-même »  Si  nous le pouvions, à quoi bon la générosité ? . A défaut, dès lors,  la générosité vaut mieux que l’égoïsme.

Pour autant, la générosité n’est pas le contraire de l’égoïsme, puisque celui-ci fait partie de la nature humaine. S’aimer soi-même a sa raison d’être dans la mesure où elle conduit l’homme à une perfection plus grande et,  par là,  à rechercher l’ « utilité d’autrui » D’après Spinoza, la générosité  est « Un désir par lequel un individu, à partir du seul commandement de la raison, s’efforce d’assister les autres hommes et d’établir entre eux  et lui un lien d’amitié ». Il y a dans cette générosité-là une utilité pour chacun, donc on ne sort pas de l’ego,  « ou on en sort qu’à la condition d’assumer d’abord son exigence propre, qui est de persévérer dans son être, le plus possible, le mieux possible, autrement dit d’agir et de vivre ».

Toujours selon Spinoza, la générosité est définie comme désir, non comme joie, ce qui suffit à la distinguer de l’amour. Par contre, la joie ou l’amour peuvent naître de la générosité, non s’y réduire ou se confondre avec elle. Lorsque l’amour et la joie font défaut, « la raison subsiste qui nous apprend – elle qui n’a pas d’ego et nous libère pour cela de l’égoïsme -  que rien n’est plus utile à l’homme que l’homme, que toute haine est mauvaise, enfin que quiconque est conduit par la raison désire pour les autres ce qu’il désire pour lui-même. » C’est une morale de la générosité, qui mène à une éthique de l’amour « Bien faire et se tenir en joie ». L’amour est le but ; la générosité le chemin.

« La générosité nous élève vers les autres, pourrait-on dire, et vers nous-mêmes en tant que libérés de notre petit moi… » C’est une vertu plurielle, car

  • jointe au courage, elle peut être héroïsme
  • jointe à la justice, elle devient équité
  • jointe à la compassion,  elle devient bienveillance
  • jointe à la miséricorde,  elle devient indulgence 

 mais son plus beau nom est  la bonté, lorsqu’elle est jointe à la douceur.

 

Extraits de « Petit traité des grandes vertus » d'André Comte-Sponville, réunis par Jacqueline Roussy